Mon mari et moi ainsi que nos enfants avons eu la chance à de nombreuses reprises d’être reçus par la Rabbanite ‘Haya Mouchka dans sa maison sur President Street. Ce fut l’oncle de mon mari, Rav Zalman Gourarie qui m’encouragea à téléphoner à la Rabbanite, à me présenter et à demander si nous pouvions lui rendre visite. Je fus très nerveuse la première fois et je pense que mon mari aussi.

Nous avons sonné à la porte. C’est la Rabbanite elle-même qui nous ouvrit, et, avec un grand sourire, prit nos manteaux et nous mit à l’aise. Elle nous fit entrer dans la salle à manger où la table avait été préparée de façon royale : de magnifiques assiettes, des verres en cristal, différents gâteaux, des fruits, des chocolats, des glaces pour les enfants et une grande bouilloire de thé. Elle versa du thé pour mon mari et moi en nous gratifiant de trois cuillères de sucre : bien que mon mari ne prenne jamais de thé sucré, il but toute la tasse. Les enfants étaient ravis de tous ces gâteaux, chocolats et glaces – sauf notre fille Estie qui avait décidé qu’elle était au régime. Tout ce que la Rabbanite lui proposait, elle répondait poliment : « Non merci ! ». Je crus que mon mari allait s’évanouir de honte. Cependant, la Rabbanite comprenait parfaitement la mentalité des jeunes. Elle se tourna vers notre fille et suggéra : « Estie ! Mange une fraise : ce n’est pas calorique ! ».

La Rabbanite parla à mon mari en yiddish et s’intéressa beaucoup à sa famille qu’elle avait connue en Europe avant la guerre. A moi, elle parla en anglais et j’eus l’occasion de lui raconter comment mon père, de mémoire bénie, avait eu le privilège d’entrer plusieurs fois en Ye’hidout (entrevue privée) chez son père, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn. Je fus par ailleurs surprise de constater combien elle était au courant de la situation politique dans notre pays, l’Afrique du sud.

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Quand notre fils Yossi se fiança avec ‘Hayele Rubashkin, nous les avons emmenés tous les deux rendre visite à la Rabbanite. A cette époque, le père de ‘Hayele était associé avec les Liberman : ils produisaient une marque de thon appelée « Liberman and Rubashkin ». La Rabbanit félicita ‘Hayele car elle avait mangé ce thon qui était « délicieux ». Notre future belle-fille était impatiente d’informer son père de ce compliment qui valait son pesant d’or ! De fait, la Rabbanite savait exactement comment s’adresser à chaque convive.

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Quand notre plus jeune fille, ‘Hanna, était encore petite et que je m’étais rendue avec elle à New York, j’eus l’occasion de rendre visite à la Rabbanite juste la veille de notre départ de Brooklyn. Elle me demanda si j’avais encore beaucoup à faire avant de partir. Non, tout était presque prêt mais je devais encore acheter des chocolats pour ‘Hanna car, à cette époque, il n’existait pas encore de bons chocolats cachères à Johannesburg. La Rabbanite se leva et m’offrit une belle boîte de chocolats spécialement pour ‘Hanna et lui montra comment on enveloppe une boîte de chocolats aux États-Unis. J’ai gardé précieusement cette boîte jusqu’à maintenant.

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J’ai appris quelques usages russes chez la Rabbanite. En Afrique du sud, quand on vous sert du thé, vous attendez que la maîtresse de maison boive avant de boire vous-même. Apparemment en Russie, l’hôte attend que l’invité commence. Jusqu’à ce que je comprenne cette différence, nous avons tous dû boire du thé froid…

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En Afrique du sud, quand on reçoit un cadeau, on l’ouvre immédiatement mais telle n’est pas la coutume en Russie. J’avais un jour acheté un cadeau pour la Rabbanite – une boîte brodée pour garder des petits pains – et j’aurais voulu lui montrer comment s’en servir : je lui demandai donc la permission de l’ouvrir pour lui faire la démonstration. Quand j’eus terminé elle s’exclama : « Comme c’est français… ! »

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En 1987, un groupe de jeunes Chlou’him se rendit de Brooklyn en Afrique du sud. La Rabbanite leur confia quatre boîtes de chocolats pour moi : deux au lait et deux Parvé. Sans doute intimidés par cette mission, les jeunes gens gardèrent ces boîtes dans leurs bagages à main et, dès qu’ils atterrirent, ils me les apportèrent directement de l’aéroport, avant même de rentrer chez eux après ce voyage fatiguant. Cette nuit-là, je téléphonai à la Rabbanite pour la remercier et elle n’en revenait pas que je les aie déjà reçus ! Nous avons parlé et elle tint à préciser que les chocolats étaient à base de lait surveillé («’Halav Israël ») comme si j’avais pu imaginer que ce n’était pas le cas ! Puis elle me demanda pourquoi je n’étais pas venue à New York ce Tichri alors que l’ambiance avait été si joyeuse ! Je m’excusai en expliquant que cela n’avait pas été possible cette année mais que l’année prochaine, avec l’aide de D.ieu, ce serait sûrement encore plus joyeux. Elle se contenta de rire. Elle devait savoir que l’année suivante, elle ne serait plus là…

Le 22 Chevat 5748 (1988), je reçus un coup de téléphone du secrétaire de mon mari : « Madame Gourarie, que se passe-t-il ? M. Gourarie a reçu ce matin un coup de téléphone de l’étranger et il est devenu tout pâle, tout triste. Deux heures plus tard, il a reçu un nouveau coup de téléphone de l’étranger et il était très joyeux. Que se passe-t-il ? ».

Le fait est que le premier coup de téléphone annonçait la nouvelle qui attrista tout le monde juif : le décès de la Rabbanite à l’âge de 87 ans. Le second coup de téléphone annonçait la naissance de la toute première ‘Haya Mouchka née après le décès de la Rabbanite – au foyer de notre fils Mi’haël et son épouse Dina. Elle fut nommée devant le Séfer Torah dans la demeure du Rabbi le lendemain matin.

Mme Winnie Gourarie – Johannesburg

N’shei Chabad Newsletter N° 7805

Traduite par Feiga Lubecki