Chabbat dernier, un de mes amis qui fréquente régulièrement notre synagogue m’avertit avec peine que c’était son dernier Chabbat à la synagogue :

– Je suis désolé, Monsieur le rabbin, mais on m’a proposé un poste où je serai obligé de travailler Chabbat.

J’ai été très surpris. Nous nous tenions à bonne distance l’un de l’autre et nous portions tous les deux un masque à cause de la distanciation sanitaire. Mais, malgré le fait que nous ne pouvions pas distinguer nos visages entièrement, nos regards exprimaient la peine et la déception.

Pour moi, il était un fidèle exemplaire (c’est-à-dire que c’était un de ces rares personnages qui ne s’endormait pas pendant mon discours). J’avais fait sa connaissance plus approfondie quelques jours auparavant et nous avions sympathisé.

Qu’étais-je supposé lui répondre ? Que j’aurais été heureux de le revoir chaque fois qu’il pourrait se libérer pour venir à la synagogue ? Qu’il pouvait accomplir bien d’autres Mitsvot pour faire venir Machia’h ? Le coronavirus a impacté financièrement tant de gens de façon négative, la Parnassa devient de plus en plus difficile pour tous et là, on lui offrait un salaire attractif. Avais-je le droit d’interférer dans la vie d’un homme et de sa famille qui étaient durement affectés par la crise sanitaire ?

Ceux qui me connaissent savent que je hais les conflits et que j’ai tendance à me plier en quatre pour faire plaisir à tout le monde et ne pas me créer d’ennemis. Mais là, il ne s’agissait pas d’un quelconque débat sur Facebook ! Il s’agissait de la sainteté du Chabbat ! « Qu’est-ce que le Rabbi aurait dit dans un cas pareil ? » me suis-je demandé. Et cette pensée fulgurante ne quittait pas mon esprit. Ses yeux cherchaient les miens. Je pris une profonde inspiration.

– Mon cher ami ! Il est impossible que le Créateur du Ciel et de la Terre présente à Son enfant un défi qui ne peut pas être relevé. Le grand poète juif qui se faisait appeler A’had Haam a remarqué une fois que plus que les Juifs ont gardé le Chabbat, c’est le Chabbat qui a gardé les Juifs ! Vous devez avertir ce patron que vous ne pouvez pas travailler le Chabbat. Et si vous avez besoin d’une lettre attestant de cette exigence religieuse, je suis prêt à l’écrire pour vous ! ».

Durant toute la semaine, je n’ai pas reçu de ses nouvelles. J’étais un peu inquiet : peut-être refuserait-il de me parler à nouveau ? Peut-être avais-je été un peu trop dur, trop fanatique pour lui ?

Ce Chabbat, après que j’ai terminé de prier la Amida, je me suis retourné vers l’assemblée et quelle ne fut ma surprise : il était là, comme toujours, assis à la deuxième rangée ! Il me sourit et me fit un grand signe de victoire !

Je me suis précipité vers lui :

– Je suis si content de vous souhaiter Chabbat Chalom aujourd’hui ! Comment cela s’est-il passé ?

– J’ai refusé le poste, murmura-t-il en se penchant vers moi. Tous mes amis, toute ma famille m’encourageaient à l’accepter ! Vous avez été le seul à me donner une réponse catégorique. Et j’ai réfléchi : s’il y a dans cette synagogue des gens qui ont survécu à la Shoah comme ce Monsieur ‘Haïm Grossman qui vient de temps en temps à la synagogue, combien plus je devrais être prêt à commettre des sacrifices pour mon judaïsme ! Quand mon ancien patron a entendu ce qui s’était passé, il m’a offert une augmentation pour que je reste à mon ancien poste ! Et plus encore : il a été stipulé dans mon nouveau contrat que je n’aurais jamais besoin de travailler le Chabbat !

Je ne pouvais pas en croire mes oreilles. Il continua :

– Je veux que vous sachiez que si vous ne m’aviez pas répondu aussi directement, j’aurais moi-même hésité et je ne serais pas devant vous ici aujourd’hui à la synagogue !

Je sentais les larmes couler de mes yeux. Depuis seize ans que j’officie comme rabbin, je vivais là le summum de ma carrière. Je parvins à ouvrir la bouche et l’informai que, dans le Talmud (Avoda Zarah 17 a), il est écrit qu’il y a des personnes qui acquièrent leur Monde Futur en un instant…

L’office allait continuer mais je ne pouvais plus me retenir : je me levais devant toute la congrégation et, avec sa permission, je racontai ce qui s’était passé. Je citai encore une fois le Talmud (Bra’hot 6 a) comme quoi D.ieu porte les Téfilines de même que Ses enfants portent les Téfilines. Dans nos Téfilines, il est écrit : « Ecoute Israël, l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est UN » (Deutéronome 6 : 4). Mais dans les Téfilines de D.ieu, il est écrit : « Qui est comme Ton peuple Israël, une nation unique sur terre ? (Samuel 2 – 7 : 23).

Cet homme inspira toute notre congrégation de Lincoln Park Jewish Center. Cet homme m’a inspiré. Il est facile pour moi de venir à la synagogue Chabbat : après tout, je suis même payé pour cela, c’est mon job. Mais pour lui… effectuer ce choix… Tout ce que je peux ajouter, c’est que nous lisons en ce moment dans la Sidra de la Semaine les récits de la Torah concernant les grands miracles et les merveilles que D.ieu a accomplis pour nos ancêtres en les faisant sortir d’Égypte.

Mais là, ce fut un grand miracle qu’un homme a accompli pour D.ieu !

Rav Lévi Welton

Traduit par Feiga Lubecki