Mon oncle, Dr Feldman était un des docteurs personnels du Rabbi.
Quand j’avais 11 ans, je m’amusais avec mon cousin à entrer dans son bureau après ses heures de réception des malades et nous effectuions des appels téléphoniques fantaisistes.
Un jour, par manque d’inspiration, nous avons cherché des numéros au hasard dans l’agenda des rendez-vous de mon oncle et nous avons vu un nom : Schneerson 1304 President Street, avec un numéro de téléphone. Nous nous sommes regardés et avons eu la même idée : « C’est sans doute l’adresse du Rabbi ! ». Nous avons éclaté de rire et nous nous sommes excités l’un l’autre : « Chiche… ». Mon cousin n’était pas aussi taquin que moi mais il me provoqua : « Alors, tu y vas ? ». Je composai le numéro.
Une dame âgée me répondit d’une voix agréable mais je perdis mes moyens et me contentai de produire quelques bruits ressemblant à des cris d’animaux et je raccrochai. Quelques semaines plus tard, nous avons recommencé.
Environ deux mois plus tard, ‘Hol Hamoed Souccot, je me trouvais dans la maison de mon oncle et nous devions préparer la table pour le repas à l’extérieur dans la Souccah. Ma tante me demanda de chercher quelques verres et serviettes dans la cuisine et de les apporter dans la Souccah.
Il faut comprendre que, dans la cuisine, il y avait deux téléphones, un blanc et un rouge. Le blanc était pour la famille mais le rouge était pour les urgences. Seules quelques personnes triées sur le volet à Crown Heights connaissaient ce numéro confidentiel. Mon oncle nous avait toujours défendu dans les termes les plus sévères d’utiliser ce téléphone.
Alors que j’étais dans la cuisine pour prendre ces verres, le téléphone rouge sonna et je me suis dit que, puisque j’étais la seule personne présente, je devais décrocher. Mais je pris cela pour un jeu et, d’une voix aigüe et amusante, je m’écriai :
– Hellooooooo ?
Et une gentille dame âgée répondit :
– Oh, je suis désolée, j’ai dû me tromper, je voulais téléphoner au docteur !
Je me ressaisis et, d’une voix normale, répliquai :
– Vous êtes chez le docteur ! Il est dans la Souccah, je vais le prévenir. De la part de qui, s’il vous plaît ?
– C’est Madame Schneerson de President Street !
Je me précipitai dans la Souccah et informai mon oncle que Madame Schneerson de President Street l’appelait au téléphone. Il courut prendre le combiné.
Deux minutes plus tard, il retourna dans la Souccah et me dit, très en colère :
– Je t’avais prévenu cent fois de ne jamais jouer avec le téléphone rouge ! Tu n’as pas honte ? Quand les gens appellent sur ce téléphone, ce peut être une question de vie ou de son contraire et, avec tes farces idiotes, tu risques de jouer avec la vie des malades !
Je gardai profil bas, regardai le sol et murmurai :
– Je suis désolé !
– Sais-tu qui était au téléphone ?
– Oui, Madame Schneerson de President Street !
– C’était la Rabbanit ! Elle m’a téléphoné parce qu’elle ne se sentait pas bien et je dois aller chez elle voir ce qui se passe. Et tu vas m’accompagner parce qu’elle veut te voir !
J’étais terrifié ! J’étais persuadé que j’allais être puni d’une façon que je ne pouvais même pas imaginer. En chemin, mon oncle susurra :
– Comment as-tu osé faire des farces téléphoniques à la Rabbanit ? Elle a reconnu ta voix !
Maintenant, je sentis que mon cœur s’arrêtait de battre ! J’allais devoir payer pour mon audace !
La porte était déverrouillée en prévision de l’arrivée de mon oncle. Nous sommes entrés et mon oncle me jeta un regard dur :
– Tu attends sagement ici ! Ne touche à rien, compris ?
Alors qu’il montait l’escalier, la Rabbanit apparut en haut des marches, me regarda d’en-haut, m’adressa un sourire et un signe de la main. Je répondis avec un signe.
C’était donc cela ? Elle voulait juste m’adresser un signe amical ? Je n’allais donc pas être puni ? Je n’aurais pas eu besoin de m’inquiéter à ce point…
Puis je sentis une tape sur mon épaule. Je me retournai : un ‘Hassid (j’appris plus tard qu’il s’agissait de Reb Gansberg qui prenait soin de la maison du Rabbi) me demanda d’une voix profonde :
– Tu es Moshé ?
Je me raidis : je n’étais donc pas sorti d’affaire…
– Suis-moi !
J’étais suffoqué : certainement, c’était le bourreau qui était chargé de m’administrer la punition méritée… Je le suivis dans la maison, traversai une cuisine ancienne, vraiment démodée. Il ouvrit la porte à l’arrière de la maison et me fit pénétrer directement dans la Souccah. La table était prête :
– La Rabbanit t’a préparé un déjeuner. Assieds-toi et mange !
Je m’en souviens avec précision : deux petites ‘Hallot, un morceau de saumon cuit avec une salade et du jus d’orange déjà versé dans un verre. C’était délicieux et déjà, tout en mangeant, je prévoyais de tout raconter à mes camarades de classe et j’imaginais leurs regards incrédules et envieux…
Quand je réfléchis à ce qui m’est donc arrivé il y a plus de trente ans, je constate combien cela en dit long sur la Rabbanit. Elle n’était ni arrogante ni froissée. Bien qu’elle ait été par deux fois victime de mes gags, elle n’était pas en colère, elle comprenait que les enfants sont des enfants et elle nous aimait vraiment comme n’importe quelle grand-mère. Et bien qu’elle se soit sentie mal ce jour-là, elle s’était efforcée de me préparer à manger pour m’occuper pendant la consultation.
A l’époque, je n’ai pas noté quel grand honneur elle m’avait octroyé : j’avais mangé dans la Souccah privée du Rabbi. Et maintenant je le réalise !
Moshé Gelber
Traduit par Feiga Lubecki
Le 25 Adar est le jour anniversaire de la Rabbanit ‘Haya Mouchka Schneerson,
épouse du Rabbi de Loubavitch.