C’est maintenant devenu une tradition : au lieu de passer la fête de Pessa’h tranquillement chez leurs parents, les jeunes gens des Yechivot Loubavitch de par le monde visitent des communautés où ils peuvent aider à préparer Pessa’h.
C’est ainsi qu’en 1994, alors que l’Union Soviétique s’était disloquée, six jeunes gens américains et français se rendirent à St Petersburg pour aider les tout nouveaux émissaires du Rabbi, Rav Mendel Pewzner et son épouse Sarah.
Petit à petit, ils apprirent la langue et instituèrent des clubs de jeunes à qui ils enseignaient les rudiments du judaïsme.
Pour attirer un maximum de jeunes, ils organisèrent un concert de musique juive et, en à peine une semaine d’une campagne de publicité intense, réussirent à mobiliser cinq mille personnes. Les six jeunes gens en profitèrent pour tisser des liens avec de jeunes parents et leur proposer d’inscrire leurs enfants aux différentes activités qui leur étaient destinées.
Les jeunes étudiants de Yechiva avaient décidé d’offrir aux enfants juifs de la ville l’occasion d’expérimenter une «Matsa Bakery», un atelier de fabrication de Matsa. Comme ils avaient attiré tellement de gens lors de leurs précédents programmes et concerts, ils parièrent sur 5000 enfants qui viendraient participer à cette expérience. Pour cela, ils louèrent une très grande salle et achetèrent tous les objets nécessaires : rouleaux à pâtisserie, tabliers jetables… Ils préparèrent aussi un «Séder» miniature. Mais…
Une heure passa et personne ne vint. Personne ! Que se passait-il ? N’avaient-ils pas fait assez de publicité? Ne s’étaient-ils pas assez bien exprimés sur les prospectus ? Après tout, peut-être valait-il mieux fermer les portes plus tôt et remballer tout le matériel…
Enfin, à 16h30, une maman arriva avec ses deux enfants. Les six jeunes gens étaient aux anges et réservèrent le meilleur traitement à cette famille : ils expliquèrent patiemment tout le processus de la fabrication de la Matsa, répétèrent comment procéder au Séder, leur apprirent des chants… Puis ils prirent les renseignements administratifs habituels et chacun rentra chez soi.
Il ne restait plus aux jeunes gens qu’à remballer leur matériel et à se demander désespérément pourquoi tout avait raté, à quoi avaient servi tous leurs efforts…
Pin’has Turk, l’un des étudiants, était très triste de ce ratage monumental. Mais cette nuit, il téléphona à la famille afin de convenir d’un rendez-vous.
De fait, la famille habitait dans une banlieue éloignée. La maman raconta au téléphone qu’elle n’avait pas reçu d’éducation juive mais se souvenait avoir mangé de la Matsa au printemps lors d’un grand repas familial. La semaine précédant la Matsa Bakery, elle avait remarqué la publicité et avait décidé d’emmener ses enfants. Pin’has lui annonça qu’elle avait la possibilité d’envoyer ses enfants dans une colonie de vacances à Moscou où ils pourraient passer un véritable Pessa’h et elle accepta avec joie.
Après Pessa’h, Pin’has et un de ses amis se rendirent chez la famille et eurent la surprise de découvrir qu’en fait, il y avait quatre enfants, trois garçons et une fille. La maman avait trouvé des biscuits cachères dans un magasin et la conversation tourna autour de l’éducation : les jeunes gens, eux-mêmes issus de familles nombreuses, étaient en mesure de donner de précieux conseils ; puis on discuta Judaïsme. La maman proposa alors de leur présenter son mari. Elle envoya un des enfants frapper respectueusement à la porte de sa chambre pour annoncer au père que des rabbins américains étaient venus leur rendre visite. Le père – un colosse – entra et se mit à parler de façon volubile… de christianisme. Les jeunes gens étaient stupéfaits : toute la famille semblait si intéressée par le judaïsme et le père parlait avec enthousiasme du christianisme ! De fait, le père (qui était juif lui aussi) avait ressenti le besoin de parler de D.ieu à ses enfants et, comme il n’y avait qu’une seule école religieuse dans la ville, il avait envoyé les enfants dans cette école chrétienne. Il avait tenu à donner à ses enfants des prénoms bibliques : Sarah, Chalom, Lemouël (un nom qu’il avait trouvé dans la Bible) et… Babi Yar, en souvenir de plus de 100 000 Juifs qui avaient été massacrés dans la forêt du même nom par les Nazis en 1941.
Le père accepta avec plaisir toute proposition d’éducation juive et inscrivit ses enfants au Talmud Torah en leur permettant aussi de passer plusieurs fois le Chabbat avec les étudiants.
A la fin de l’année, les étudiants prirent congé de tous leurs élèves, retournèrent dans leurs Yechivot, laissant aux Chlou’him (émissaires du Rabbi) locaux les noms et adresses des personnes qu’ils avaient pu contacter au cours de leur séjour.
Peu de temps après, ces jeunes gens se marièrent et l’un d’entre eux, Mendel Gurewitz s’installa avec son épouse Rivka à Offenbach en Allemagne en 1998. Avant les fêtes, il mit au point des programmes pour les enfants juifs de la région, comme il avait appris à le faire quand il était étudiant auprès de Rav Mendel Pewzner à Petersburg. Il décida de faire appel à des étudiants de Yechiva pour l’aider à mettre au point une Matsa Bakery.
Après les deux premiers jours de fête, une fois que tout s’était un peu calmé, il prit le temps de faire plus ample connaissance avec les jeunes gens, de leur expliquer ses problèmes pour les préparer eux aussi aux défis qu’ils rencontreraient peut-être plus tard.
Cette année, en 2001, il raconta comment, bien des années auparavant, il avait «raté» une Matsa Bakery où presque personne n’était venu mais que ce genre d’expérience ne doit pas décourager un Chalia’h… il dévisageait ses interlocuteurs tout en parlant puis se tourna vers l’un d’entre eux :
– J’ai l’impression de t’avoir déjà rencontré ! Comment t’appelles-tu ? Et d’où viens-tu ?
– Je m’appelle Babi Yar, répondit le jeune étudiant ‘hassidique tout droit sorti d’une Yechiva et je viens de St Petersburg…
Post-Scriptum : De nombreux étudiants du groupe de Petersburg assistèrent au mariage de Babi Yar à Brooklyn il y a plus de dix ans…
David Zaklikowski – Chabad.org
Traduit par Feiga Lubecki