Quand vous rencontrez Chémi Rokeach dans sa synagogue des ‘Hassidim de Belz à Boro Park ou dans son vaste bureau à Manhattan, vous n’imaginez pas qu’il puisse avoir un lien avec le mouvement Loubavitch.
Et pourtant, issu de la famille Schneerson par sa mère, il eut le mérite de rencontrer très souvent la Rabbanite ‘Haya Mouchka à qui il téléphonait chaque veille de Chabbat !
Par ma grand-mère maternelle, je suis en famille avec les Rabbis de Loubavitch de huit façons différentes, puisqu’il y avait souvent des mariages entre cousins éloignés. Toute sa vie, ma grand-mère fut fière de faire partie de cette famille illustre. Vers la fin, elle dut subir une opération et confia au Rabbi qu’elle craignait de ne plus avoir tous ses esprits après cette épreuve. Le Rabbi rétorqua : « Un esprit Schneerson ne peut jamais être détruit ! ».
Ma grand-mère était arrivée à New York au début des années 1950 et s’était installée à Crown Heights. Elle forgea tout de suite une relation familiale avec la Rabbanite ‘Haya Mouchka, comme si elles étaient des sœurs bien que ma grand-mère respectât énormément la Rabbanite qui était l’épouse du Rabbi. Même quand elle déménagea dans un autre quartier, elles se parlaient souvent au téléphone, parfois même plusieurs fois par jour.
Une fois, un des ‘Hassidim qui travaillait dans la maison du Rabbi se présenta chez nous avec un gros paquet-cadeau pour ma grand-mère. Très étonnée, celle-ci ouvrit le paquet : c’était un très beau cadre doré avec un portrait du Rabbi, souriant.
Stupéfaite de ce cadeau complètement inattendu, ma grand-mère téléphona immédiatement à la Rabbanite et demanda : « Moucha (c’est ainsi quelle l’appelait toujours) ! Qu’est-ce que cela signifie ? ». La Rabbanite expliqua qu’elle avait voulu lui faire une surprise : elle avait choisi parmi 200 photos du Rabbi celle qui, à coup sûr, ferait plaisir à ma grand-mère ! Très touchée, ma grand-mère fit suspendre le portrait en bonne place et, chaque soir avant d’aller se coucher, elle s’arrêtait devant le portrait et souhaitait : « Bonne nuit Rabbi ! ».
La Rabbanite était si proche de ma grand-mère qu’elle considérait ma mère comme sa propre fille. Elle reçut d’ailleurs de nombreux cadeaux de sa part. Quand elle eut l’âge des Chidou’him (rencontres en vue du mariage), la Rabbanite lui offrit son propre collier en or afin qu’elle paraisse encore plus belle. Pour leur mariage, mes parents reçurent de la Rabbanite un splendide service d’assiettes et, quand moi-même je suis né, la Rabbanite leur offrit une jolie couverture de bébé.
Quand j’étais petit, je suis souvent allé rendre visite à la Rabbanite avec mes parents ou ma grand-mère. Mes parents veillaient à ce que nous soyons parfaitement propres et habillés avec soin puisque nous allions dans une maison royale ! La Rabbanite n’était pas très grande mais elle irradiait la royauté, la finesse, l’intelligence. Sa maison sur Président Street était un mélange harmonieux de simplicité, de chaleur mais aussi de raffinement et d’élégance. Mes parents ou ma grand-mère parlaient avec la Rabbanite dans le salon tandis que nous, les enfants, nous regardions avec curiosité les autres pièces. Conscients que nous ne devions pas monter au premier étage, nous osions néanmoins monter une ou deux marches, un peu comme un pari à qui oserait monter le plus de marches mais nous redescendions prestement !
A la naissance de ma petite sœur, mes parents la nommèrent Shterna Sarah, comme la Rabbanite, épouse du Rabbi Chalom Dov Ber (donc grand-mère de la Rabbanite ‘Haya Mouchka). Quand mes parents passèrent devant le Rabbi qui distribuait des dollars à remettre à la Tsedaka, le Rabbi exprima toute sa satisfaction du fait qu’ils l’avaient nommée ainsi et les accueillit avec un grand sourire : « Nous avons droit à un Mazal Tov, elle s’appelle Shterna ! ». Quand ma petite sœur eut trois ans, le Rabbi précisa devant mes parents qu’elle devait allumer une bougie avant Chabbat avec la bénédiction. Je ne me souviens pas si le Rabbi évoqua qu’elle devait auparavant mettre une pièce dans la boîte de Tsedaka mais il insista qu’elle devait réciter la bénédiction.
Chaque année, à Pourim, nous apportions au Rabbi et à la Rabbanite des Michlo’ah Manot (cadeaux traditionnels de nourriture). A chaque fois, le Rabbi nous remerciait en nous offrant des pièces de monnaie israélienne : c’est ainsi que j’ai conservé des Lirot puis des Chekalim du Rabbi. C’était notre argent de Pourim…
Quand mon frère et moi avons eu neuf et dix ans, la Rabbanite téléphona à ma grand-mère en demandant : « Pourquoi tes petits-fils ne vont-ils pas au Farbrenguen (réunions ‘hassidiques) de mon mari ? ».
Ma grand-mère transmit la question à ma mère qui la transmit à mon père. C’est ainsi que mon père nous emmena pour la première fois au Farbrenguen. Nous prîmes place sur l’estrade derrière le Rabbi qui, comme à son habitude, répondait à tous ceux qui levaient leur petit verre de vodka en sa direction. Il se tourna aussi vers moi et, en souriant, me souhaita « Le’haïm », « A la vie ! » J’étais tout excité et m’écriai en direction de mon père : « Le Rabbi m’a vu ! ».
Mon père refroidit mon enthousiasme : « Il y a ici des milliers de personnes ! Comment oses-tu penser que le Rabbi t’a remarqué ? Le Rabbi répond en général à la foule mais pas à chaque ‘Hassid individuellement ! ».
Le lendemain matin, avant même que nous partions à l’école, la Rabbanite téléphona à ma grand-mère et l’informa que, quand le Rabbi était rentré la veille à la maison, il lui avait confié avec un grand sourire : « Aujourd’hui, il y avait deux nouveaux ‘Hassidim de notre famille au Farbrenguen ! ».
Oui le Rabbi nous avait remarqué comme il avait noté la présence de chacun.
Quand j’étais à la Yechiva à Philadelphie, je téléphonai à la Rabbanite tous les vendredis pour lui souhaiter « Chabbat Chalom » comme le ferait n’importe quel enfant avec sa grand-mère. Elle me demandait comment j’allais, comment j’étudiais, qui étaient mes camarades, ce que je portais. Avant un examen, elle me souhaitait de réussir et, quand je lui annonçai que j’allais acheter des vêtements, elle recommandait : « Chémi, achète des vêtements de bonne qualité ! ».
Le jour de son décès fut le jour le plus triste de ma vie, comme si j’avais perdu ma grand-mère. Bien entendu, je suis allé à New York pour présenter mes condoléances au Rabbi et le réconforter. Ma grand-mère demanda à un des secrétaires : « A qui mon petit-fils devra-t-il téléphoner maintenant chaque vendredi ? ». Je ne me souviens plus lequel des secrétaires relaya la question au Rabbi mais il fit répondre que je devais lui téléphoner à lui ! C’est ainsi que je téléphonai chaque vendredi à la maison du Rabbi : comme le Rabbi ne parlait pas au téléphone, c’était Rav Chalom Gansburg qui répondait à sa place et me faisait part de sa réaction à ce que j’avais dit la semaine précédente.
Ces conversations continuèrent jusqu’à mon mariage.
Chémi Rokeach
Traduit par Feiga Lubecki